Sueño magallanico

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Sueño magallanico

La Patagonie est perdue entre ciel et mer, passé et présent, rêve et réalité…Les routes infinies dont on avale les kilomètres en bus, à cheval, ou au volant d’une vieille Chevrolet rouillée par le sel, mènent au cœur d’un mythe, d’un lieu légendaire et fascinant. Ces terres baignées d’une lumière onirique ont de tous temps offert aux voyageurs en quête d’absolu l’ultime dépaysement, un refuge pour l’imaginaire, le passage vers un monde fantastique et désespéré.
On y perd la notion du temps. Le voyage revêt l’allure d’un pèlerinage vers ce qui fût pendant des centaines d’années le lieu d’explorations rocambolesques. Magellan, Bougainville, Cook, Darwin…Ces noms flottent à la surface des eaux noires de ce bout du monde. Ballottés par des vents furieux et incessants, nombreux sont les navires avides de colonisation qui s’échouèrent sur les rives du Détroit de Magellan, ou de la Péninsule Mitre. Les épaves encore visibles semblent parfois s’animer, prêtes à repartir, commandées par quelque corsaire anglais dont le fantôme n’en aurait pas encore fini avec la mer.
Les terres n’offrant pas plus d’hospitalité que l’élément marin, la tragédie s’y est poursuivie, et les Espagnols moururent par centaines de faim et de froid, réitérant de vaines tentatives de colonisation de ce pays austère, ne permettant aucune culture connue, et pourrissant les vêtements et les vivres à une vitesse incroyable.
Les hommes ont pourtant continué à braver les conditions inhumaines qu’offraient ces lambeaux de terres, poursuivant un rêve fou, une chimère…Ils se sont installés, occupant, de manière éparse l’immense et indomptable Patagonie, construisant des villes, des routes, marquant leur présence.
Pourtant, aujourd’hui comme il y a 500 ans, la force des éléments est incontrôlable, la dimension mystique du lieu est restée intacte, et les habitants du « sud du sud », eux, doivent composer avec ce climat éprouvant, et l’austérité du territoire. Ils n’auront jamais le dessus, et toute intention de croire le contraire serait une folie.
Ainsi, de la région des Magallanes jusqu’à l’Isla Navarino, au fil du temps et d’une errance solitaire hors de tous repères, se révèle ici et là le témoignage discret de tentatives dérisoires de l’Homme d’occuper, de coloniser. Sa « ridicule » présence au sein de cette immensité féroce donne lieu à des situations incongrues, des juxtapositions inattendues…
Est-ce la magie du lieu qui influence le regard à fouiller le paysage pour y découvrir les scènes les plus insolites, ou est-ce réellement une manière bien particulière pour les habitants « d’être là » ?
Brouillée par cette ambiguïté, entre fantasme et réalité, l’empreinte humaine s’insinue au hasard dans les coins les plus perdus de ce gigantesque rien. Les navires fantômes, ou les petits cimetières de colons ou d’indiens, petits bouts d’histoire d’une première tentative, témoignages de fiertés malmenées par ces lieux (la grandiose cité du roi Philippe II d’Espagne, devenue « le port de la faim » en quelques mois, et dont pas un n’en sortit vivant en est un exemple), côtoient le monde du présent. L’homme d’aujourd’hui redoublant d’orgueil face à sa réussite, érige de fiers monuments, livrés aux yeux de personne, rendant souvent hommage à des gloires obsolètes.
Les militaires argentins et chiliens, occupant la moitié de la zone à eux seuls, se livrent une petite guerre de territoires incessante, déballant aux yeux de l’autre leurs actions héroïques, et s’observant mollement d’une rive à l’autre dans l’attente d’un faux-pas.
D’autres, n’ayant que faire de ces petites querelles de voisinages se sont retirés au fin fond de nul part, (et de voisins, ils ne se soucient point), dressant leur petites maisons, on ne sait par quelle volonté...
Ainsi la richesse visuelle extraordinaire qui découle de tous ces éléments fait de la Patagonie un sujet passionnant, car même si la représentation de ces situations a une valeur documentaire, se réfère à une histoire passée ou présente très forte, elle nous plonge avant tout au cœur d’un pays imaginaire, sans repères, et derrière chaque image se fait sentir, là, tout près, le bout du monde.