Quatre semaines de voyage à bord du Golden Fleece, bateau d’expédition de Jérôme Poncet.

 

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“Allez rooouulez petits bolides”!

Affairé dans la cuisine du Golden Fleece, Jérôme chantonne en préparant un “stew”, ragoût de mouton, afin de subvenir aux besoins de l’équipage. Le départ pour la Géorgie du Sud est imminent et les repas des 4 prochains jours se déroulant en haute mer, nous préparons le maximum avant l’agitation.

A bord, je suis matelot et photographe, et l’une des tâches les plus difficiles est de satisfaire les exigences culinaires de notre chef, pour qui bien manger est une affaire capitale.

Pourtant, Jérôme Poncet n’est pas seulement cuisinier.

Pionnier de l’exploration polaire à la voile, ce vieux marin, qui aspirait à devenir un “gitan de la mer”, a passé 40 ans à arpenter les mers australes à bord de Damien 2, puis du Golden Fleece, un ketsch en acier qui subit sans broncher les assauts répétés du climat hostile, et les audaces de son propriétaire.

Animé par un éternel désir d’indépendance et de liberté, il a passé sa vie à cultiver des compétences nécessaires à son choix de vie autonome.

Ainsi à bord, tout ou presque, est fait maison. De la réparation du chauffe-eau à l’approvisionnement du congélateur en viande de rennes, chassés et préparés à Beaver sur l’île familiale, en passant par les conserves de patés et la pêche des fruits de mers locaux…

La Géorgie du Sud était son terrain de jeu et celui de ses enfants. Nés sur le bateau, ils ont arpenté les hauts sommets et crapahuté dans les stations baleinières abandonnées, faisant des manchots et autres phoques leurs camarades de jeu…De ces régions, les Poncet connaissent tous les secrets.

C’est donc avec le guide rêvé que je pars à la rencontre de cette île magique du 54ème parallèle.

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Pour rejoindre la Géorgie, il faut d’abord affronter 4 jours d’une mer capricieuse, au départ des Malouines où est basé le Golden Fleece.

Notre route suit le chemin des tempêtes australes remontant de l’Antarctique, et le début du voyage est agité. Une mer creuse et des rafales à 40 noeuds nous offrent une belle initation, que certains vivront la tête dans une bassine.

Je fais mes premiers quarts de nuit au milieu de vagues énormes, tétanisée par la toute puissance des éléments.

J’attends le jour avec impatience, et la lumière qui me permettra de repérer les premiers icebergs, qu’il faut absolument éviter.

Le ciel alterne entre tonalités dramatiques et éclats incandescents, donnant mille nuances à cette infinie étendue d’eau qui nous fait sentir bien petit. Les albatros géants, éternels compagnons des marins du grand Sud, se joignent bientôt à nous pour parcourir quelques miles parmi les milliers qu’ils couvrent en quête de nourriture.

 

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RENCONTRE AVEC LA GLACE

Au 3ème jour d’une navigation en pleine mer, une forme apparaît enfin sur le radar.

Notre premier iceberg est en vue.

il semble immense. Déja haut sur l’horizon, il faudra 1h30 de plus pour l’atteindre.

A l’approche, c’est une cathédrale de glace dérivante que nous découvrons, myriade de bleus s’entremêlant en de multiples facettes, érodées par l’eau, vaisseau fantôme livré aux caprices de la mer et du vent, culminant sans doute à plus de 60 mètres.

L’étrave du Golden Fleece vient chatouiller les faces monumentales du monstre orphelin. Sur l’une d’elles, quelques manchots papous ont réussi à se hisser on ne sait trop comment, et l’ont baptisé du rouge de leurs excréments gavés de krill, la petite crevette à la base de l’écosystème marin.

Nous frissonnons face au géant qui pourrait bien choisir de larguer un bloc sur notre passage: quelques tonnes projetées à côté du bateau nous soulèveraient assez dangereusement.

Mais notre capitaine n’a que faire des trouillards, et se préoccupe surtout de la pêche des glaçons de la prochaine caiphirina.

Armé d’une épuisette cousue main par mes soins, Grégoire, le second, est en charge de récupérer les précieux morceaux, et nous repartons alourdis mais bien équipés.

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SHAG ROCKS

Mais voilà que la ligne d’horizon frémit de nouveau.

Nous voguons vers les Shags Rocks, un groupe d’îlots spectaculaires aux allures d’estampe chinoise.

Six pics hérissant la surface de l’eau, six rochers abruptes et improbables, dont le plus grand culmine à 75m, se dressent au milieu de l’immensité marine, tels un mirage.

Et pourtant la vie y est bien réelle et foisonnante. Cormorans (shags) aux yeux bleus à flancs de falaise, mais aussi manchots papous, manchots à jugulaires et même quelques otaries en escale, se partagent ces lambeaux de terre où il est impossible de débarquer.

 

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GEORGIE EN VUE

Une dernière nuit de navigation nous amène enfin au but: au matin du 4ème jour, la Géorgie se dresse devant nous.

Les imposantes montagnes de Willis Island frappent en plein visage. Cimes enneigées surplombant des falaises verticales aux nuances de vert sombres, explosion de la blanche écume des vagues sur le jaune vif des rochers couverts de mousse, intrusion du bleu éclatant des icebergs échoués, sur le gris austère de la mer…

J’ai trouvé là le paroxysme de ce savant mariage des éléments qui fait si merveilleusement écho à mes origines de petite-fille d’un marin breton et d’un montagnard de l’Isère.

De grandes entailles dans le tussack des falaises, l’herbe haute locale, annoncent la présence de gorfous macaronis. Ces petits manchots aux airs de punk décolorés ont l’habitude de faire leurs nids sur des parois inaccessibles. Les colonies forment de véritables dessins paysagers, étendues roses à points blancs serpentant très haut vers les sommets.

 

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ELSEHUL, PREMIERE ESCALE

Nous posons enfin le pied à Elsehul une baie très fréquentée par la faune locale.

Jérôme, qui a ses habitudes, progresse vite dans le tussack, et tente de nous semer pour nous prouver que nous sommes trop lents. Dénudées par le passage des otaries, les plantes forment des buttes terreuses au milieu d’un océan de boue nauséabond, dans lequel on s’enfonce jusqu’aux genoux au moindre faux pas.

Mais cette course nous mène sur le lieu d’une rencontre mémorable avec l’albatros fuligineux.

D’abord c’est son cri qui nous arrive, tout droit venu de la Préhistoire, et qui résonne le long des falaises où il niche.

Puis vient le ballet maladroit, toutes ailes déployées, pour réussir à rejoindre le nid, un spectacle émouvant et comique. Les grand oiseaux, zigzagant au dessus de nos têtes, manquent de nous mettre une gifle de leur énormes pattes palmées.  ils s’évertuent à contrôler leur décolages et atterissages, qui, les jours de vent calme peuvent s’avérer impossibles en raison de leur poids. Ce sont des planeurs, et sans vent, pas de propulsion.

 

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RIGHT WHALE BAY, BAIN DE FOULE

“On va beacher” m’annonce Grégoire alors que sous nos regards ébahis, le Golden Fleece fonce tout droit vers la plage de la spectaculaire Righ Whale Bay.

“Beacher”est un anglicisme imagé nommant l’action de venir tanquer l’étrave dans le sable, au plus près de la terre ferme.

Un sport régulièrement pratiqué par notre capitaine, qui se fait toujours un plaisir de nous placer aux premières loges.

Et quel spectacle! De toutes parts, manchots royaux se pressent dans l’eau pour nous accueillir tandis que des milliers de leur congénères s’agglutinent à terre sous une cascade aux airs de tropiques, bousculés par le jeu constant des otaries à fourrure. Mâles défendant leur harem à tout va, pateaugoires grouillantes, bandes hargneuses et serrées de petits aux airs de peluche, ça court, ça grogne, aboit..ça joue, ça mord…La mer rejète sans cesse des grappes d’animaux qui se précipitent sur le sable et entrent dans la danse.

Nous débarquons au milieu de cette foule dense et surexcitée armés de vieux bâtons de skis.

En effet, l’accueil n’est pas des plus chaleureux. Pour évoluer sur la plage, il faut faire face à l’agressivité des otaries qui chargent de tous bords. Jouant le bluff, elles s’arrêtent en général à 50 cm, mais leurs grognements et leurs dents acérées sont assez dissuasifs pour être tenus à distance de nos mollets.

 

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Les manchots ont fait leurs nids loin de la mer, et la colonie remonte loin dans la vallée, lit d’un ancien glacier. Les juvéniles, rassemblés en crèche se dandinent maladroitement dans les cailloux en attendant que leur duvet marron laisse entièrement la place à l’élégante robe propre au royal.

Un nombre impressionnant de cadavres jonchent le sol, piétinés par les vivants. Un bébé otarie fait la sieste sur l’un d’eux pour se réchauffer. Un manchot sanguinolent, méchamment entaillé mais encore debout, tente de se joindre à un groupe, qui le repousse violemment.

Non loin, deux pétrels géants, la tête rougie par le sang, les ailes déployées dans une parade morbide, se disputent un bout d’intestin au milieu d’otaries mâles coursant leurs femelles.

Vie et mort cohabitent ici sans tabou, dans une exubérance fascinante.

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Dans le tussoc, nous manquons de poser le pied sur de jeunes éléphants de mers camouflés entre deux touffes. Les têtes se dressent devant notre intrusion, une grande bouche rose émet un crachement hostile et quelques corps ondulent, se téléscopent dans un mouvement de panique qui ne dure pas.

Retour à une longue sieste, ponctuée de sursauts et bruits assez comiques, pets, rots, reniflades en tous genres.

Leurs grands yeux noirs et expressifs observent tout de même nos mouvements et scrutent mollement nos intentions.

Le contact visuel avec l’éléphant de mer est assez troublant. Ce regard a quelquechose d’incroyablement humain. Je me plais à penser qu’il s’agit d’hommes transformés en limaces géantes sous le coupe d’une malédiction…A moins que ce ne soit l’inverse?

 

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Totalement amorphes en apparence, ces animaux ont en fait une vie assez complexe.

Passant la plupart de leur temps en mer pour se nourrir, ils ont été observés à des profondeurs allant jusqu’à 2kms.

Tous les ans, presque toute la population d’éléphants d’Atlantique Sud, soit plus de 300000 individus, viennent se reproduire sur les plages de Géorgie du Sud.

Les combats sans merci des mâles pour la constitution du harem font alors rage sur toutes les plages.

Pour l’heure, les petits, laissés très tôt par leurs mères s’agglutinent en attendant la mue. La puberté aidant, ils s’entraînent à intimider le voisin en bombant le torse très haut, et poussant leur voix, testant leur virilité naissante, et prolongeant ainsi le cycle de vie de l’espèce.

Ces scènes primitives auquelles nous assistons en privilégiés, et/ou en intrus, rappellent une toile du dounier Rousseau. Un monde à la gloire du sauvage et du règne animal.

Mais l’homme n’a pas toujours été absent du tableau.

Et il nous réserve un autre genre de spectacle.

 

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VESTIGES D’UN AUTRE TEMPS

Le coeur de l’activité baleinière passée se situe quelques milles plus au Sud, dans Stromness Bay.

Un des moyens d’y arriver est de tenter la fameuse randonnée sur les traces de Shackleton, l’explorateur britannique qui, après le naufrage de l’Endurance en Antarctique, a survécu 2 ans avec son équipage et tenté l’impossible pour rallier la Géorgie depuis Elephant Island. Arrivés du mauvais côté, les hommes n’ont eu d’autre choix que de traverser la barrière de glace qui couvre l’intérieur de l’île, et ont enfin trouvé du secours dans la station de Stromness.

 

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Moins téméraires, nous prenons le départ à Fortuna Bay, pour une marche de 4h, et quelques mémorables descentes de névés vers les stations, où le Golden Fleece nous attendra.

 

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Destination finale, Leith Harbour, la plus grande des anciennes stations.

Au dernier tournant, elle apparaît enfin, la ville fantôme, toute de rouille vêtue, encore debout malgré les vents catabatiques et les avalanches. Abandonnée en 1965 pour des raisons économiques, les travailleurs ont tout laissés sur place.

Une véritable mine d’or pour les visiteurs de l’époque. En 1971, Damien, le premier bateau de Jérôme, est le premier voilier à débarquer à Leith.

Il y trouve un monde oublié, figé dans le temps. Il y reviendra de nombreuses fois, et certaines maisons nous dit-il, abritent encore les dessins des enfants.

Aujourd’hui, la nature a repris ses droits dans les décombres. Des éléphants de mer se sont hissés sur les restes d’un mât, les otaries ont installé leur harem dans une ruelle, les manchots royaux attendent la mue entre deux tôles…

D’étranges scènes, aux airs franchement post-apocalyptiques!

 

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 Cimetière norvégien d’HusvikGéorgie du Sud, une renaissance sous contrôle
Squelette de renne sur les hauteurs de Cobblers Cove
48_mg_7579_FJA mesure que nous descendons vers le Sud, les squelettes de rennes se font plus nombreux.
Ces animaux ont été introduits une première fois par L.E Larsen en 1911, sur le site d’Ocean Harbour. Deux autres introductions pérennisent leur occupation des lieux. A l’époque, les rennes constituent un apport en viande non négligeable dans un environnement hostile et peu cultivable, et les travailleurs pendant la période d’occupation des stations, en prélèveront 200 à 300  par an. En 2010, un recensement établit un total d’environ 2600 bêtes. Mais en 2013, un programme d’éradication des espèces introduites est lancé en Géorgie. La question des rennes est beaucoup débattue, mais finalement, il est décidé de les supprimer. 7000 rennes sont ainsi tués, ce qui montre que leur nombre avait été largement sous-évalué. La densité de population en Géorgie était 5 fois supérieure à celle de la Laponie.

 

Pendant que je médite sur ces visions, Jérôme décide d’aller cueillir des pissenlits pour le dîner. Un coup de zodiac, un peu d’escalade, et nous voilà fournis en salade pour les prochains jours. Cela ne nous empêchera pas d’écumer tous les bons spots connus du capitaine, parce que les pissenlits, c’est bon pour la santé.

 

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“CA PASSE?”

Le Golden Fleece grince, hoquète.  Jérôme donne de grands coups de barre à roue pour manoeuvrer dans un chenal étroit et dangereusement rocailleux.

Nous serrons les fesses en regardant la coque frôler les falaises…Mais notre capitaine se plaît à piloter son bateau comme une moto de compet’. Je commence à regretter de n’avoir apporté un objectif grand angle, pour saisir ces paysages à portée de main.

…”si si, on dirait que ça passe”

Parfois, la côte est si proche que nous frôlons l’échouage. Les cales râclent le fond, le moteur devient nerveux, Jérôme lâche quelques jurons…

Une mésaventure de ce genre nous plante au début du voyage dans la baie de Bird Island. Pris en quelques minutes par la marée descendante, le bateau se pose sur le fond, devant la station scientifique de la Britsh Antarctic Survey.

Nous sommes face au bâtiment, mais il est formellement interdit de débarquer à Bird Island depuis quelques années, comme dans de nombreux endroits en Géorgie, pour cause de préservation de la nature. Seuls les scientifiques ont ce privilège.

Autrefois, jérôme y passait Noêl en famille avec les occupants devenus ses amis. Une autre époque!

Nous tentons une demande de débarquement par radio, pour une “cup of tea” le temps que le Golden Fleece se remette à flotter. Il nous est répondu d’envoyer la requête au préalable par mail à l’administration de Grytviken, située à …65 miles de là (105 kms)…Une situation grotesque qui achève d’exaspérer notre révolté de capitaine, qui parvient à nous dégager dans un ultime mouvement d’humeur.

 

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En Géorgie, s’il n’y pas d’habitant en dehors des 2 stations de la BAS et de quelques personnes du gouvernement local, les contraintes admnistratives y sont pour autant bien réelles.

Beaucoup de règles et d’interdictions, peu de liberté de mouvement dans un des endroits pourtant les plus sauvages de la planète.

Successivement menacés par la chasse, l’introduction d’espèces non-endémiques, et le tourisme, l’île et son écosystème font désormais l’objet d’une surveillance drastique.

Le programme d’éradication des espèces introduites a conduit à l’extermination des rats, et des rennes.

Les bateaux de croisière sont désormais soumis à une taxe importante pour tout débarquement, limitant ainsi le nombre de personnes à terre, dans des régions où le tourisme augmente dangereusement.

Une situation presque ironique, dans laquelle l’Homme s’évertue à lutter contre son propre impact au fil des années, et qui conduira peut-être à l’interdiction totale d’accoster en Géorgie sans être un scientifique ou un membre du Gouvernement.

 

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GRYTVIKEN

L’administration, qu’il convient de croiser au moins une fois dans le séjour pour faire tamponner son passeport (la Géorgie est un territoire britannique doté d’un gouvernement autonome), est installée à Grytviken, ancienne station baleinière fondée par Larsen en 1912, et aujourd’hui nettoyée pour pouvoir être visitée par les touristes en mal d’histoire.

 

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Géorgie du Sud, une renaissance sous contrôle

Un décor étrange que ce musée à ciel ouvert, car la plupart des murs composant les anciens bâtiments ont été enlevés, et ne restent que les machines ayant servi à traiter le gras de baleine.

Certis de hautes et ténébreuses montagnes, ces cheminées, réservoirs et autres engins en métal rouillés semblent célébrer en silence la mémoire des milliers de cétacés morts ici pour leur huile.

 

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Les formalités terminées, Jérôme que la proximité de représentants de l’autorité agaçe plus que tout, commence à faire les cent pas pour s’échapper de ce qu’il considère comme un “dysneyland” local.

Je réussis à voler un peu de temps supplémentaire pour aller saluer le fameux Shackleton, dont la tombe trône dans le petit cimetière local peuplé d’éléphants de mers.

 

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GLACIERS

La Géorgie, située au Sud de la convergence antarctique est donc une île polaire majoritairement couverte de glaciers.

Nous allons évidemment nous frotter à ces géants à chaque occasion, slalomant entre d’énormes icebergs semblables à des sculptures…Fortuna, Neumayer, Nordenskjold…Mais un phénomène étrange se produit à chaque fois. Sur l’écran de Jérôme, qui enregistre l’évolution de notre bateau sur une carte en relief, il semblerait que nous naviguions…SUR le glacier!

 

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Il s’agit en fait d’un constat effrayant: la photo satellite datant de 2006, nous avons sous nos yeux la preuve visuelle et mesurable de la fonte des glaces. Ces monstres ont tous dangereusement reculés en 10 ans. Et sur les montagnes environnantes, Jérôme nous montre, tout là-haut, les anciennes moraines, les lignes correspondant au niveau des glaciers telle qu’il les a connu dans les années 70.

Ces observations nous laissent bien songeurs, mais nos réflexions sont vite interrompues par l’urgence d’un nouvel approvisionnement en glaçons purs pour le cocktail du soir.

 

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SAINT-ANDREWS

Notre route se poursuit vers le Sud en longeant la côte. Après un passage mémorable à Ocean Harbour, où nous mettons le Golden Fleece à couple de la magnifique épave du Bayard, une visite aux cormorans nichant sur le pont, et une pêche miraculeuse, nous débarquons à Saint-Andrews Bay, la plus grande colonie de manchots royaux de Géorgie, comptant plus de 400000 paires d’animaux.

 

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Impossible d’embrasser du regard l’étendue de cette masse compacte d’individus, qui produit un spectacle tant visuel qu’olfactif et sonore. Un vacarme impressionnant s’élève de cette marée de corps blancs, noirs et jaunes, zébrée de lignes marrons que sont les crèches où se pressent les petits.

La colonie est parcourue de plusieurs torrents qu’il faut traverser, eaux jusqu’aux cuisses, sous le regard intrigué de la foule massée sur les rives. De temps à autre, une otarie arrive en trombe dans le courant, le jeu consistant à se faire emporter à fond de train jusqu’à la mer.

Une multitude de cris régit cette communauté au fonctionnement très organisé. Disputes entre voisins dans les nurseries, chants des parades nuptiales, sifflements des poussins réclamant à manger, appels des parents pour retrouver leur petits…

Sur les côtes de Géorgie, il n’y a finalement pas de silence.

 

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EN ALLANT VERS LE SUD

A l’approche de la pointe Sud de la Géorgie, le climat fraîchit, la glace est plus présente.

Devant le glacier Twitcher, une masse sombre se dessine sur un iceberg dérivant. C’est un léopard de mer en pleine sieste, qui n’apprécie guère son réveil face à l’étrave du GF.

 

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Une tempête se prépare et nous trouvons refuge au mouillage à Larsen Harbour, une petite enclave dans le Drygalski Fjord.

Nous avions déja expérimenté un coup de vent à Cook Bay, devant Prince Olav Harbour.

Des rafales à plus de 80 kms/h couchaient violemment le bateau et l’avait fait “chasser” à plusieurs reprises. (Quand l’ancre dérape sur le fond).

 

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Cette fois, la tempête nous baptise d’un nouvel élément: la neige! Le pont du bateau devient blanc en quelques minutes, et je sors faire crisser mes pas, grisée comme aux sports d’hiver.

 

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Mais Ici plus question de poser un pied à terre, nous sommes entrés dans la zone interdite.

La côte Sud est innaccessible suite à la dératisation. Les rats, moins futés que l’expédition Shackleton, ne peuvent traverser la couche glaciaire du centre de l’île, et ce côté, maintenant considéré comme “rat-free”doit rester vierge de toute nouvelle invasion.

Nous regardons religieusement défiler ces paysages défendus depuis le pont.

De ce côté, le relief est plus théâtral, plus brut, non sans rappeler le visage de la péninsule Antarctique. De hauts sommets enneigés, terminés par d’hostiles falaises de roches sombres, entaillées par de gigantesques cascades de glace turquoise. Chaos d’icebergs millénaires échoués sur des plages d’un sable noir et brillant, sur lequel la robe éclatante des manchots royaux se dessine merveilleusement.

Un jardin d’Eden, que nous nous apprétons à quitter le coeur gros.

 

 

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TOUCHE FINALE

Mais une dernière rencontre nous attend avant le grand départ. L’étrave du Golden Fleece fend le “brash ice”, un banc de glaçons dérivant détachés des glaciers, et nous mène au pied du Mont Paget, le plus grand sommet de l’ïle, culminant à 2935 m. Le soleil revenu donne milles éclats aux cimes du géant blanc sur lequel s’accrochent des nuages lenticulaires semblables à de grosses soucoupes volantes en attente d’atterrissage.

Le Mont Paget a été gravi pour la première fois en 1964.

 

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Nous nous contenterons de l’admirer depuis la mer, avant de nous préparer au laborieux retour vers les Malouines.

Le voyage sera plus difficile, car dans ce sens, le vent nous souffle en pleine face. Une autre affaire, parce qu’une déferlante de travers peut coucher le bateau définitivement.

Deux baleines franches s’approchent du bateau et se livrent à une chorégraphie de quelques minutes, semblant nous saluer.

Un adieu?

Je regarde avec émotion la chaîne de montagnes rétrécissant sur l’horizon, le bateau commence à gîter sous l’allure de près…

Plutôt un “au revoir”, j’espère.

 

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